23.01.2024
Article
L’architecture invisible de Tadao Andō
19.07.2022
Né en 1941 au Japon, Tadao Andō est un architecte qui fait partie de ce qu’on appelle le style régionalisme critique. Son architecture se nourrit des éléments culturels locaux.
C’est l’un des principaux architectes japonais et l’un des plus grands représentants du mouvement minimaliste dans l’architecture contemporaine.
Un attrait certain pour l’architecture
Tadao Andō grandit dans un quartier populaire d’Osaka, chez sa grand-mère. Dès son enfance, il apprend deux grands préceptes qui vont irriguer son travail : le rationalisme et l’esprit d’indépendance.
Livré à lui-même, il a pour habitude de découvrir le travail des artisans de son quartier. Il y découvre la diversité des matériaux dans le domaine du bâti.
C’est ainsi que commence sa formation d’architecte, de façon autodidacte. Un fait assez rare au Japon pour être souligné ici. Il apprend également l’architecture à travers les livres qu’il trouve chez les bouquinistes et découvre rapidement l’œuvre de Le Corbusier.
Son inspiration
En parallèle de son apprentissage architectural, Tadao Andō se lance dans une carrière de boxeur, au niveau professionnel. Dès 1965, grâce à ses gains remportés lors de combats, il voyage en Europe, aux États-Unis et en Afrique.
Lorsqu'il débarque du Transsibérien à Paris en septembre 1965, après un long périple commencé dans le port de Yokohama, Tadao Andō a un rêve. Rencontrer l'architecte franco-suisse Le Corbusier. Il ne sait pas que l’urbaniste est décédé fin août d'un malaise cardiaque sur la plage du Buse près de son « cabanon » à Roquebrune-Cap-Martin.
« Je ne parlais pas français, pas anglais, je ne pouvais pas savoir », se souvient aujourd'hui, l'architecte japonais.
Néanmoins, il peut enfin apprécier l’architecture de feu Le Corbusier, qui le fascine totalement. Il visite les œuvres emblématiques de l’architecte français, comme le Pavillon suisse de la « Cité internationale de Paris », la « Villa Savoye » à Poissy qui, à ce moment-là, tombait en ruine, et la « Cité radieuse », à Marseille. Sa découverte architecturale ne s’arrête pas là. En effet, il s'émerveille des abbayes cisterciennes qui vont véritablement l’inspirer. Dès lors, il accordera une grande importance à la place du silence dans son architecture, qui apparaît comme un espace de repos et de sérénité.
Son inspiration ne s’est pas seulement nourrie de voyages, mais aussi de rencontres. Il fréquente des artistes qui appartiennent au mouvement de l’avant-garde du groupe japonais Gutai. Il s’intéresse également à des artistes occidentaux comme Jackson Pollock ou encore Marcel Duchamp.
Pour l’anecdote : Désireux de découvrir la Villa Savoye à Poissy, l’architecte n’a pas osé prendre le bus de peur se perdre. Il a marché une demi-journée pour découvrir la maison - érigée en 1931 - en ruines … Tadao Andō dira, un peu plus tard, de Le Corbusier que « de lui, j’ai appris la liberté et le courage ! »
Un retour aux origines
Après ses nombreux voyages, il ouvre son propre atelier en 1969, à Osaka, au Japon. À partir des années 1970, il commence ses premières réalisations, entre les petits magasins et les maisons, lui permettant ainsi de développer son propre style architectural.
Le début de sa carrière coïncide avec une explosion démographique de la ville d’Osaka. Face à l’augmentation importante des constructions pour la population, le paysage urbain devient de plus en plus hétéroclite, remettant en questions la sérénité des intérieurs japonais. Tout est à reconstruire après la guerre et les développeurs optent pour des bâtiments rationnels, fonctionnels, économiques, loin des concepts et des valeurs traditionnelles qui avaient jusqu'ici nourri l'architecture du pays. Afin de rompre avec l’agitation extérieure, Tadao Andō cherche dans ses constructions à instaurer un environnement propice au calme.
« Ils ont oublié l'émotion, le symbolisme, la joie de vivre », regrette-t-il dans le documentaire de Michael Blackwood, en 1988. « Ce sont ces éléments que j'ai toujours voulu restituer dans mon travail. » ajoute-t-il.
De plus, l’architecte utilise le béton banché, un matériau qui répond parfaitement aux problématiques des nombreux séismes que connaît le Japon. À travers ce matériau antisismique, il développe alors un langage qui lui est propre, entre géométrie et simplicité des formes.
Une architecture singulière
Tadao Andō se fait connaître dans le monde grâce à la « Maison Azuma », située à Osaka et construite entre 1975 et 1976. Cette maison résidentielle en béton banché avec les trous apparents, fait 65 mètres carrés et possède deux étages. De l’extérieur, seule la façade est visible.
Isolée parmi les autres maisons, elle se caractérise par des murs aveugles et un patio au centre. À l’intérieur, la maison se déploie en trois segments. Le patio à ciel ouvert constitue l’épicentre de la maison. Pour rejoindre les différentes parties, il faut sortir et se plonger dans l’environnement. Le patio apporte alors non seulement de la lumière mais aussi une bulle de sérénité, toujours dans un effet de contraste avec l’agitation urbaine. Cette maison aux espaces épurés pose les bases de la démarche de l’architecte : la lumière, l’importance des murs et des espaces de divisions, et les matériaux employés.
Son architecture se construit à partir de la géométrie pure et d’éléments naturels. La géométrie qui met en avant la beauté des volumes apporte à son travail, une forme poétique évidente. C’est ce que nous pouvons voir dans ses constructions religieuses avec notamment « l’église de la Lumière », construite en 1989, dans le nord-ouest d’Osaka, dans la ville d’Ibaraki.
L’église, faite de béton et de bois est de forme cubique. Nous pouvons voir une percée dans le mur en forme de croix. Si, de l’extérieur, le bâtiment est extrêmement sobre, à l’intérieur, cette croix percée par la lumière inonde totalement l’espace épuré. Ainsi, cette croix de lumière sublime l’espace dans lequel elle s’inscrit, en apportant une dimension spirituelle évidente. Dans cette humilité architecturale, la lumière qui évolue au fil de la journée et des saisons, devient symbolique. Le silence et la lumière sont ainsi des éléments architecturaux en eux-mêmes.
Espaces & vide
L’architecte joue avec les espaces et le vide, l’ombre et la lumière, créant ainsi pour le visiteur « une expérience de l’espace ». Au-delà de la dimension architecturale, le langage artistique exprime une intériorité pour celui qui évolue dans ces espaces. Dans ce dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, Tadao Andō cherche l’harmonie et l’équilibre des éléments. Cette recherche s’illustre parfaitement avec la « Chapelle sur l’eau » à Tomamu qui date de 1991. Sublimé par l’environnement qui l’entoure, le bâtiment évolue en fonction du temps et des saisons.
À l’intérieur de ses édifices, il crée des parcours de circulations complexes qui oscillent entre l’espace extérieur et l’espace intérieur. La géométrie des espaces construit des chemins qui mènent à la contemplation. Nous retrouvons ainsi la philosophie du zen et le haïku.
Le haïku est une poésie japonaise verticale qui met en lumière l’évanescence des éléments qui nous entourent. Une poésie qui accorde de l’importance aux sensations.
De plus, l’impermanence et la fragilité des choses, omniprésentes dans la tradition shintoïste sont également des éléments clés pour comprendre l’œuvre de l’architecte.
Une clientèle prestigieuse
Les premiers grands clients arrivent d'Occident. Luciano Benetton sera l'un des premiers à l'engager pour le Centre de recherches de son groupe à Trévise, en Italie. Dans la foulée, il travaille pour Giorgio Armani, qui lui demande un théâtre de la mode à Milan, puis pour Karl Lagerfeld, qui lui propose, autour d'un Coca light rue de l'Université, la création d'un atelier villa près de Biarritz. Des premiers dessins sont lancés.
« Si l'architecture est la nouvelle passion de la mode, alors Tadao Andō est l'homme le plus sexy de la Terre », s'amuse le New York Times en 2001. Faute de permis de construire, le projet de Biarritz ne se fera pas mais les deux hommes se lient d'amitié. « C'est lui qui m'a présenté à François Pinault à cette époque. C'était il y a plus de trente ans », confie l’artiste aujourd’hui.
Le courant passe tout de suite entre ces deux autodidactes d'origine modeste aux caractères rugueux. L'homme d'affaires, fondateur de Kering, confie au Japonais la construction de sa fondation d'art contemporain sur l'île Seguin, à Boulogne Billancourt. Il indique alors l'avoir choisi pour « son approche poétique ». Mais le projet s'enlise pour des raisons politico-administratives et François Pinault décide de partir exposer sa collection à Venise.
Tadao Andō est de l'aventure. Il rénove d'abord le Palazzo Grassi en jouant, cette fois, sur des triangles de lumières puis la Punta della Dogana, où l'espace intérieur est réorganisé autour de structures plus cubiques respectant les formes originelles de l'ancien bâtiment des douanes de la Cité. Toujours cette quête de l'essentiel et cette fusion à l’environnement.
Tadao Andō & la Bourse de Commerce
Afin de mettre en lumière sa collection, François Pinault souhaite sauvegarder et réhabiliter un monument emblématique du patrimoine parisien. Pour ce travail de transformation, son choix se porte sur son ami japonais … Une évidence.
L’histoire du bâtiment de la Bourse commence au XIIIe siècle. Fondée sur la structure de l’hôtel de Soissons, son architecture témoigne alors de ces périodes successives : de la première colonne isolée de Paris, au XVe siècle pour Catherine de Médicis, à la construction d’une halle au blé au XVIIIe siècle, puis d’une halle recouverte dès 1812 par une coupole de métal et de verre pour finalement devenir une Bourse de Commerce, de 1885 jusqu’en 2016.
En 2006, la Bourse est alors rachetée par la Ville de Paris. Elle devient une vitrine d’une partie des collections d’art contemporain du célèbre homme d’affaires. Le lieu comporte 3 000 mètres carré de surface d’exposition, un restaurant au troisième étage et un studio au sous-sol pour accueillir des performances et des conférences.
Le chantier s’est déroulé de juin 2017 à février 2020. Pour cette réalisation, Tadao Andō souhaitait apporter un élan contemporain sans intervenir et dénaturer le bâtiment, classé aux Monuments historiques. En ce sens, il réalise une structure dans une structure à l’instar d’un emboîtement gigogne.
Il reprend alors les motifs du cercle et de la géométrie simple, des motifs qui lui tiennent à cœur. Il crée ainsi une coursive intérieure de 91 mètres de long et de 9 mètres de haut, permettant d’observer les œuvres. Dans cet espace de vie, s’offre à nous un dialogue vivant entre l’architecture et son contexte, la création contemporaine et l’héritage patrimonial, le passé, le présent et le futur, et enfin, entre la collection et le visiteur.
La Bourse de Commerce – Pinault Collection devient alors la réalisation la plus importante de Tadao Andō en France.
Une incroyable notoriété
Il serait difficile de lister tout le travail de Tadao Andō tant il est dense et international. On compte pas moins de 300 réalisations architecturales !
Il a mené ses travaux un peu partout dans le monde. La Bourse de Commerce est, à cette date, sa dernière réalisation. S’inscrivant parmi les architectes les plus réputés dans le monde, il a reçu au fil de sa carrière des distinctions prestigieuses : d’abord la médaille Alvar Aalto, en 1985, puis dix ans plus tard, le Carlsberg Architectural Prize et le prix Pritzker.
Il est, en 2002, lauréat du Prix de Kyoto, et en 2018, le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective. Le style de l’architecte est non seulement connu dans le monde, mais il est aussi très reconnaissable. Le béton banché, la lumière et le motif du cercle sont des éléments qui gravitent autour de son univers.
« La création de l’espace dans l’architecture est simplement la condensation et la purification de la puissance de la lumière. Dans mon travail, la lumière est toujours un élément critique dans la mise en scène de tout l’espace, car elle permet de créer des effets visuels inattendus ».
Ouvrages & projets célèbres
- Bourse de Commerce / Pinault Collection, Paris (France), 2021
- He Art Museum, Shunde Guangdong (China), 2020
- Wrightwood 659, Chicago (USA), 2018
- Pearl Art Museum, Shanghai (China), 2017
- Hill of the Buddha, Sapporo (Japan), 2015
- JCC - Jaeneung Culture Center, Séoul (South Korea), 2015
- Wabi House, Puerto Escondido (Mexico), 2014
- Aurora Museum, Shanghai (China), 2013
- The Museum SAN - Space Art Nature, Wonju (South Korea), 2013
- Asia Museum of Modern Art, Wufeng, Taichung (Taiwan), 2013 - Cerro Pelon / Cook Ranch, Santa Fé (USA), 2012
- Bonte Museum, Seogwipo (South Korea), 2012
- Rinnovamento Akita Museum of Art, Akita (Japan), 2012
- Centre Roberto Garza Sada of Art Architecture and Design, Monterrey (Mexico), 2012
- Château La Coste, Puy Sainte Réparade (France), 2011
- Chapelle Niseko Resort and Residences, Niseko (Japan), 2010
- Restauration de Punta della Dogana - Centre d’art contemporain, Venise (Italy), 2009
- Glass House et Genius Loci, Seopjikoji (South Korea), 2008
- Saka no Ue no Kumo Museum, Matsuyama (Japan), 2006
- Picture Book Museum, Iwaki (Japan), 2005
- Chichu Art Museum, Naoshima, Kagawa (Japan), 2004
- Langen Foundation, Neuss (Germany), 2004
- 4x4 house, Kobe (Japan), 2003
- Extension du Modern Art Museum, Fort Worth (USA), 2002
- Show Room Armani, Milano (Italy), 2001
- Awaji-Yumebutai, Hyogo (Japan) 2000
- Fabrica, centre de recherches Benetton, Villorba (Italy), 2000
- Le musée Daylight, Shiga (Japan), 1998
- Le musée de la culture, Gojyo (Japan), 1997
- Nagaragawa Convention Center, Gifu (Japan), 1995
- Le musée du bois, Hyogo (Japan) 1994
- Le musée Suntory, Osaka (Japan), 1994
- Extension du musée d’art contemporain, Naoshima (Japan), 1994
- Vitra pavillon de conférence, Weil am Rhein (Germany), 1993
- La pavillon du Japon, Exposition universelle de Séville (Spain), 1992
- Le musée des grandes tombes, Kunamoto (Japan), 1992
- Le temple de l’eau, Awajishima (Japan), 1991
- Le musée de la littérature, Himeji (Japan), 1991
- Le musée de l’enfant, Himeji (Japan), 1989
- Centre commercial Collezione, Tokyo (Japan), 1989
- L’église de la lumière, Ibaraki, Osaka (Japan), 1989
- L’église flottante, Tomamu (Japan), 1988
- Chapelle sur le Mont, Rokko (Japan), 1986
- Complexe résidentiel Rokko Housing One (1983) et Housing Two (1993), Rokko (Japan)
- Row House (Azuma House), Sumiyoshi (Japan), 1976
- Logements, Ashiya, Tokyo (Japan), 1973-1986
Journal de styles